Boullo, la rebelle
« Elle était belle, pieuse et aimée de tous, commença Balago. Son sourire était comme un rayon de soleil, illuminant les ruelles étroites et les maisons en pierre. Boullo était belle. Ses yeux, d’un brun profond, trahissaient la douceur qui constituait le socle de sa personnalité. Son sourire, discret, mais sincère, illuminait son visage. Sa peau, baignée par le soleil de la côte, avait une teinte dorée qui évoquait les plages de sable fin. Ses cheveux noirs, tressés avec soin, encadraient son visage et semblaient raconter les histoires de sa famille modeste. Boullo portait toujours des vêtements modestes, mais leur simplicité mettait en valeur sa beauté naturelle. Elle était une étoile discrète dans le ciel de Zeila, illuminant la vie de ceux qui la croisaient.
Boullo avait un caractère doux. Elle était humble et aimable envers tous ceux qu’elle rencontrait. Sa modestie était sa force. Boullo était également une rêveuse. Elle imaginait des mondes au-delà des horizons de Zeila, des aventures dans lesquelles elle pourrait s’évader. Pourtant, malgré ses rêves, elle restait ancrée dans la réalité, travaillant dur pour sa famille. Elle était une âme bienveillante, toujours prête à aider les autres.
Elle avait aussi des passions simples, mais profondes. Elle aimait se promener le long de la côte, sentir le sable sous ses pieds et écouter le bruit apaisant des vagues. La mer était son refuge, un endroit où elle pouvait réfléchir et se ressourcer. Elle avait également un amour pour la poésie. Elle écrivait des vers sur des bouts de papier, les cachant dans les recoins de sa petite chambre. Ses poèmes parlaient de la vie, de l’amour et de la beauté de la nature. Ces poèmes, tissés de rêves et de réalité, reflétaient l’âme de Boullo et sa soif d’aventure. J’aimais bien celui qui disait :
Sous le ciel étoilé de Zeila,
Je rêve de voyages lointains.
Les étoiles me murmurent des secrets,
Et des chemins tracés par les vents.
J’imagine des déserts sans fin,
Où le sable danse avec le soleil.
Des oasis cachées, des caravanes errantes,
Et des histoires gravées dans la pierre.
Les étoiles de Zeila sont mes guides,
Leurs lueurs m’invitent à explorer.
Peut-être qu’un jour, je quitterai la côte,
Pour suivre ces étoiles vers l’inconnu.
Mais pour l’instant, je reste ici,
À contempler le ciel silencieux.
Les étoiles de Zeila sont mes compagnes,
Et leurs chants muets réchauffent mon cœur.
Ce qui me plaisait en elle, c’était sa passion pour la cuisine. Elle préparait des plats simples, mais savoureux, utilisant les ingrédients locaux avec créativité. Sa cuisine était un mélange de traditions familiales et d’expérimentations personnelles. Boullo trouvait de la joie dans ces petites choses, et c’est ce qui la rendait si spéciale. Chaque fois que je me rendais chez elle, elle me servait un plat différent qu’elle me demandait de tester pour elle. Je la taquinais en lui disant qu’elle gaverait tellement son mari qu’il deviendrait gros.
Un jour, alors que le soleil se couchait sur l’horizon, Boullo croisa le regard d’un jeune homme. Il s’appelait Ragueh. Ses yeux étaient aussi profonds que l’océan, et son sourire aussi chaleureux que le soleil. Ils se rencontrèrent au marché parmi les étals colorés d’épices et de tissus chatoyants.
Leur amour grandit rapidement, comme une fleur qui s’épanouit sous la pluie du gu’ . Ragueh partit travailler en Inde, promettant à Boullo qu’il reviendrait bientôt. Mais les mois passèrent, puis les années, et aucune nouvelle du voyageur ne parvint à Zeila. Les lettres qu’elle lui écrivait restaient sans réponse, comme des bouteilles jetées à la mer. Était-il décédé ? Est-ce que le bateau avait fait naufrage ? La famille la suppliait de passer à autre chose et d’envisager d’autres prétendants. Mais elle était restée ferme, son cœur refusait de renoncer à la promesse faite à son bien-aimé. Elle portait son chagrin comme un voile, ses yeux toujours doux et ses prières tout aussi ferventes. Elle sortait peu, refusant aussi les visites. J’étais la seule qui pouvait la voir. Enfin, quand j’avais le temps entre les différents mariages à célébrer.
Ragueh avait lui aussi laissé sa marque sur la ville. Son absence était une douleur silencieuse, un vide qui ne pouvait être comblé. L’odeur des épices sur le marché rappelait à chacun ses rires, et les vagues murmuraient les secrets de leurs moments volés au bord du rivage. C’était un jeune homme travailleur, très apprécié dans la cité. Il n’avait pas de famille et vivait dans une cabane avec deux autres hommes célibataires.
Boullo refusa toutes les demandes de mariage. Son cœur appartenait à son amoureux disparu, et elle attendait son retour. Elle priait chaque nuit, implorant Allah de lui ramener son amour perdu. Mais le temps était impitoyable ; elle commença à dépérir. Sa beauté fanait et sa santé déclinait. Par une nuit d’orage, alors que la pluie frappait la ville, elle sentit ses forces faiblir. Elle savait qu’elle ne pouvait pas attendre éternellement. Le cœur lourd, elle prépara un petit sac et quitta Zeila. Personne ne la vit partir ; elle s’éclipsa comme une ombre, laissant derrière elle la vie qu’elle avait connue. On disait qu’elle longea la côte en direction de Loughaya.
Elle avait marché pendant des jours, guidée par les étoiles et les souvenirs de Ragueh. La plaine s’étendait devant elle et le vent murmurait les secrets d’un amour oublié. Les pas de Boullo n’avaient laissé aucune trace, comme si la terre elle-même conspirait pour garder son secret en sécurité. On dit qu’elle marcha seule dans la plaine, chantant pour son bien-aimé jusqu’à son dernier souffle. Certains prétendaient l’avoir vue, une silhouette solitaire dans l’immensité de la plaine.
Un voyageur vint raconter qu’il avait rencontré une femme errante sur la plaine. Il avait vu du feu alors qu’il marchait le long de la côte en direction de la cité. Il la trouva mourante. Sa respiration était difficile et ses jambes tremblaient. Elle voulut se lever, mais elle tomba à genoux, ses membres s’enfonçant dans le sable chaud. À ce moment-là, Boullo avait fait son choix. Elle ferma les yeux, sentant le poids de son amour perdu. Elle murmura le nom de Ragueh, espérant qu’il lui répondrait à travers les océans. Et puis, avec un dernier soupir, elle s’abandonna à la nuit. Le voyageur montra aux hommes qui l’accompagnèrent là où il avait enterré son corps décharné. On ne trouva rien. La jeune femme semblait s’être volatilisée. On croyait qu’une bête sauvage avait déterré le corps et l’avait emporté vers sa tanière.
La superstition fut toujours très forte dans la cité. Le moindre événement inexplicable donnait naissance à des légendes rocambolesques. Les habitants disaient que Boullo Ado était devenue cette nuit-là une étoile filante, une messagère céleste transportant son amour vers des terres lointaines. Certains pensaient qu’elle avait trouvé Ragueh qui l’attendait de l’autre côté, et que leurs âmes furent enfin réunies. D’autres disaient qu’elle continuait d’errer, sa lumière illuminant les coins les plus sombres de la plaine. L’endroit fut baptisé en son honneur. Et quand les caravaniers passent à proximité, ils ont l’habitude de déposer un peu de nourriture.
Au fil des années, les habitants de Zeila chuchotaient des histoires sur Boullo. Certains affirmaient l’avoir vue errer dans la vaste plaine du Griad, ses yeux scrutant l’horizon lointain à la recherche de tout signe du retour de Ragueh. D’autres pensaient qu’elle était devenue un fantôme, hantant les nuits de pleine lune, ses pas résonnant dans les rues vides.
Mais la vérité restait cachée, enfouie sous les sables chauds. Le nom de Boullo est devenu synonyme d’amour. Son histoire était gravée dans le tissu même de Zeila, une mélodie douce-amère portée par les vents qui balayaient la côte. Son histoire est gravée dans mon cœur et ceux des amoureux, rappelant que l’attachement transcende le temps et la distance. Zeila murmure toujours son nom et les vagues portent sa mélodie : une chanson d’espoir et d’attente éternelle. »
Balago se tut.
– Quelle histoire, renchérit Mouliyo. C’est vraiment triste.
– Oui, vraiment. Je ne veux pas qu’il vous arrive la même chose. J’ai un mauvais pressentiment. Ce départ vers l’Inde me donne la chair de poule, ma fille.
– Habo, je me sens impuissante. Houssein n’a pas le choix. S’il refuse, mon père risque de refuser notre union.
Balago hocha la tête.
– J’irais au maqam cet après-midi voir le mouroud. Peut-être aurait-il un conseil à nous donner. Je te conseille de ne pas répéter ce que je t’ai raconté à Houssein. Pas un mot, intima-t-elle en passant l’index et le pouce réunis devant ses lèvres.
Mouliya quitta la vieille danseuse, la tête remplie de questions.